Par dessous le marché : quand les pommes françaises préfèrent se vendre à Dubaï

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50% des pommes françaises se vendent au bout du monde parce qu’elles y sont mieux valorisées. Comment l’histoire a déréglé la logique du local ? Bruno Dupont, arboriculteur et Président d’Interfel, l’association interprofessionnelle des fruits et légumes frais nous livre ses explications.
Barbe bien blanche, Bruno Dupont cultive avec deux associés 70 hectares de pommiers dans la région de Saumur, à Allonnes exactement. Il doit son expérience à son père, le hollandais comme on l’appelait dans le coin autrefois qui est venu s’installer dans les années 50 dans ce fief de la pomme.« Quand j’étais enfant, au marché marché de Vivy, on comptait presque 300 producteurs. On trouvait même des abricots de Saumur et des pêches cultivées en Anjou. » Sur les cartes postales, les petites exploitations des années 60 n’ont plus grand chose à voir avec les grands domaines d’aujourd’hui.

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L’Hexagone produit chaque année 1 700 000 tonnes de pommes, 50% part à l’étranger.

« Le virage à 360° date des années 60/70. Comme dans tous les autres secteurs agricoles, on s’est mis à produire à gogo. C’était non seulement une nécessité de nourrir tout le monde mais également la naissance d’un nouveau mode de consommation. Le développement des supermarchés : la soi-disant liberté de consommer ! Les arboriculteurs se sont alors sur-spécialisés et se sont mis à ne cultiver que 3 variétés, une jaune (la Golden), une rouge (la Starkrimson), une verte (la Granny). »
Pour intensifier les volumes, les coopératives se sont développées ici et là. Ca a été ensuite un jeu des vases communicants. A mesure que les grandes surfaces se sont mises à pousser, les petits marchés ont commencé à ranger définitivement leurs tréteaux. Aujourd’hui Saumur, ville de 30 000 habitants, compte 5 supermarchés à l’entrée de la ville.« Développer ces grands hangars de la consommation qui ont étranglé la vente directe, était-ce bien nécessaire ? »

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Manger des pommes françaises toute l’année ? C’est possible si on fait tourner les frigos à plein régime.

Dans les années 70, c’est au tour de la politique agricole commune d’encourager encore un peu plus la production et d’inciter à la mise en place d’organisations communes de marché par filières (OCM).
« Dans notre région, on a créé des organisations de producteurs, les O.P dans notre jargon pour pouvoir prétendre aux aides européennes. L’objectif de Bruxelles était de réduire progressivement les prix pour que le marché des pommes françaises s’approche au plus près des prix mondiaux. Comme il y avait du surplus de pommes, on recevait des subventions pour jeter nos fruits. C’était une période insensée : tu pouvais gagner ta vie en balançant ta production puisque tu n’avais plus les charges de personnel à payer. Certains y ont vu un commerce juteux. »
Heureusement, dans les années 80, l’Europe durcit les règles du jeu et met en place un certain nombre de critères environnementaux pour accorder ses aides. « Dans les vergers intensifs, on rencontrait les mêmes problèmes que dans les élevages de poules en cage. Les arbres étant tous de la même variété, archi-serrés, quand une maladie arrivait, c’était toute l’exploitation qui était touchée. »
Nouvelles normes, nouvelles exigences, les vergers améliorent peu à peu la qualité de leurs productions. Pourtant, fin des années 80, la pomme française ne fait plus recette.

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A Dubaï, les pommes se vendent en moyenne 30% plus chères qu’en France.

Pourquoi ? Parce que la pomme étrangère débarque sur les étals et, moins chère, fait chuter son homologue bleu-blanc-rouge.
« Les Vergers d’Anjou étaient à l’époque la plus grosse coopérative française regroupant plus de 250 petits producteurs. C’était une référence. Evidemment derrière il y avait des coûts importants.» Pour  rembourser leurs investissements, les coopératives se sont tournées vers le grand export, vers des pays prêts à payer le juste prix, près de 30% plus cher à celui pratiqué en France. « Chine, Dubai : là-bas on reconnaît la qualité made in France. A Hong Kong, dès que la pomme française arrive sur les étals, elle part tout de suite. »
Les ventes à l’international connaissent également d’autres atouts. « En Chine, on peut passer des pommes plus petites. Au Maghreb, au contraire, les consommateurs préfèrent les gros fruits. Pour nous c’est plus facile de travailler avec des marchés qui ont des goûts différents, on peut se permettre de valoriser ce qui, chez nous, n’a pas le bon calibre. »

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Pourquoi ne cultiver qu’une dizaine de pommes différentes quand chaque région possède une variété de pommes locale adaptée à son climat ?

Si l’on met de côté les considérations écologiques que l’on doit au transport de tous ces fruits au bout du monde, le métier d’arboriculteur est-il aujourd’hui en pleine santé ? Même pas. « La France perd chaque année des surfaces cultivées et des emplois. En 10 ans, 20% de la surface française de vergers a disparu. Il y a 30 ans, lorsque l’on possédait 7 hectares, on pouvait embaucher 3 familles. Aujourd’hui il faut de 15 à 20 hectares pour ne payer qu’une seule personne.
Pour que la filière retrouve ses pommes de noblesse, il est nécessaire que les arboriculteurs travaillent collectivement et valorisent mieux le made in France. Ce que l’on vend bien à l’étranger, il faudrait que l’on puisse le commercialiser de la même façon dans l’Hexagone. L’enjeu est de faire accepter aux consommateurs le juste prix. » A ce propos, à quel prix seriez-vous prêt à payer votre kilo de pommes ? 

Source : la ruche qui dit oui

Publié le 30 mai 2014, dans Aurélie Mutel, et tagué . Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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