Agriculteurs en couveuse
Jérôme Guy (à gauche) avec Sébastien Corbé, son référent (Franck Tomps)
Dans la banlieue de Nantes, des espaces tests aident de jeunes exploitants agricoles à lancer leur activité sur le modèle des start-up.
Encore un peu de toile à installer et bientôt, cinq grandes serres toutes neuves seront prêtes à accueillir leurs premiers semis. Mais aussi leurs premiers semeurs. Dans quelques semaines en effet, trois néomaraîchers s’installeront sur les trois hectares de ce grand champ situé à Saint-Herblain, dans la banlieue nord-ouest de Nantes. Sur cet «espace tests permanent», ils pourront mettre à l’épreuve pendant un, deux, voire trois ans leur habileté à maraîcher – et à vivre de leur production – sans risquer leur chemise. Comme n’importe quel créateur de start-up intégrant une couveuse d’activités, ils pourront, à l’issue de ce test, soit se raviser, soit s’installer et voler de leurs propres ailes. Car pourquoi entreprendre en agriculture serait-il différent d’entreprendre tout court ?
PARRAINAGE DU «COUVÉ»
Telle est bien la philosophie qui soutient les initiateurs des espaces tests agricoles, qui se multiplient un peu partout dans l’Hexagone : le premier, le Germoir, est né à la toute fin des années 2000 dans le Nord-Pas-de-Calais. Suivi, dans le désordre, par SAS Graines à Pau, le Champ des possibles en Seine-et-Marne, les Prés d’Amont à Blois, Terracoopa à Montpellier, les Semeurs du possible en Bourgogne, etc. Au total, la France compte une quinzaine d’espaces tests en fonctionnement, et une soixantaine en projet, soutenus par des structures diverses : collectivités locales, lycées agricoles, mouvement agricole, Terre de liens, Amap, etc. La Ciap 44, une coopérative d’installation en agriculture paysanne qui a mis sur pied l’espace tests de Saint-Herblain, appartient pour sa part à la famille de la Confédération paysanne, et est soutenu par une multitude d’acteurs locaux (région, conseil général, Nantes Métropole, etc.), et de fondations (Fondation de France, Fondation Carasso, etc.).
Ces espaces tests prennent des formes diverses : certains sont permanents, comme celui de Saint-Herblain, d’autres sont temporaires et cédés ensuite aux «couvés» qui les utilisent. Parfois, ils se situent carrément sur les terrains d’un exploitant en activité, qui parraine son «couvé» pendant quelques dizaines de mois. Dans tous les cas, ce dernier bénéficie de l’accompagnement technique d’un exploitant en activité (ou retraité) et d’un contrat Cape (contrat d’appui au projet d’entreprise), réservé aux utilisateurs des couveuses d’activité. En Loire-Atlantique, il est même, d’abord, stagiaire de la formation permanente pendant un an, la Ciap 44 et le conseil général ayant mis sur pied un «stage paysan créatif» à leur intention. Le néopaysan n’est donc pas entrepreneur et ne prend par conséquent aucun risque en capital.
RAISONS D’ÊTRE
Le mouvement est né d’une double problématique : d’un côté, après des décennies d’exode rural et de concentration des exploitations agricoles, l’agriculture commence à manquer de bras. Ici, comme ailleurs, le papy-boom menace : en 2007, date de la dernière enquête «Agreste» sur la structure des exploitations agricoles publiée par le ministère de l’Agriculture, 43% des exploitants avaient plus de 50 ans, contre 33% seulement sept ans plus tôt. Et seuls 26% des surfaces agricoles utiles étaient exploitées par des moins de 40 ans, contre 36% en 2000. Autant dire qu’un renouvellement des générations s’impose, nécessitant de recruter au-delà du traditionnel cadre familial – autrement dit, des familles d’agriculteurs en activité. Et ce, d’autant plus que le secteur voit émerger des niches intensives en main-d’œuvre. Le bio par exemple, nécessite pour certaines tâches jusqu’à 40% de main-d’œuvre supplémentaire : il faut désherber, biner, bref réaliser mécaniquement ou à la main des tâches jusqu’à présent déléguées à l’industrie phytosanitaire. Les fameux circuits courts, dont raffolent un nombre croissant de consommateurs, profitent aussi aux exploitants les moins mécanisés : par exemple, les paysans en Amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) sont souvent des maraîchers cultivant différentes variétés de légumes, certains ajoutant même les œufs ou la volaille.
Mais si nombre de jeunes, voire de trentenaires ou de quadragénaires, se convertissent à cette nouvelle agriculture, devenir paysan n’est pas chose aisée. «Bien sûr, ces néoagriculteurs passent par le lycée agricole. Mais il leur faut encore peaufiner leur technique sur le terrain avant de se lancer et de prendre des risques financiers énormes», explique Alain Daneau, chargé de mission «installation rurale» à la CFPPA de la Dordogne (centre de formation professionnelle et de promotion agricole). Exactement comme un entrepreneur doit idéalement tester son idée et ses capacités de chef d’entreprise avant d’investir dans des machines ou un fonds de commerce.
Mais ce droit au perfectionnement – et donc, à l’erreur – qu’offrent les espaces tests n’est que l’une de leurs raisons d’être. «La question fondamentale dans l’installation agricole est l’accès au foncier», explique Jean-Baptiste Cavalier, animateur du réseau Reneta (réseau national des espaces tests agricoles). Car les terres cultivables sont chaque année grignotées par l’urbanisation, et celles qui restent sont de plus en plus concentrées dans de grandes exploitations. Même dans les départements où elles restent bon marché, comme la Loire-Atlantique, il est difficile pour les néophytes de les dénicher sans être introduits dans le réseau agricole local.
«Comment voulez-vous vous installer sur une exploitation composée d’un patchwork de terres dont une [petite] partie est en propriété directe et le [gros] reste en fermage auprès de multiples propriétaires, si vous ne connaissez pas l’actuel exploitant qui vous aide à négocier avec chacun d’entre eux ?» interroge Fabrice Monvoisin, actuellement en stage paysan créatif près de Pontchateau (Loire-Atlantique).
Claire Lavaur, cogérante de la Ciap 44, opine : «Notre pari est bien qu’au terme de leur passage par la Ciap 44, nos stagiaires aient réussi à nouer des contacts. Et vraiment commencé à faire leur trou dans le monde agricole.
Agriculteurs en couveuse
CATHERINE BERNARD ENVOYÉE SPÉCIALE À SAINT-HERBLAIN (LOIRE-ATLANTIQUE). Libération – 9 FÉVRIER 2014
Publié le 14 février 2014, dans Aurélie Mutel. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.
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